Politisation des questions environnementales en océan Pacifique

ecrit Par

Thomas Flichy de la Neuville

Professeur de géopolitique, Habilité à diriger des recherches

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August 29, 2024

           En Océan Pacifique, la lutte sourde entre les empires maritimes et les nouvelles puissances continentales se poursuit. Les premiers se réjouissent cette année du ralentissement de la croissance chinoise. Celle-ci est due essentiellement à la vieille politique américaine consistant à combattre toute puissance technologique susceptible de prendre le dessus : l’on se souvient à cet égard de l’interdiction de transferts technologiques décrétée par les Etats-Unis envers l’URSS pendant la guerre froide ou encore du Yen fort imposé à un Japon menaçant à compter des années 1990. Depuis 2015, une guerre commerciale analogue a été décrétée vis-à-vis de la Chine. Ceci n’empêche pas la vice-présidente Kamala Harris de courtiser l’Asie du Sud-Est en l’absence deJoe Biden. Toutefois ses promesses financières qui se chiffrent en millions plutôt qu’en milliards la discréditent quelque peu. Au sommet de l’ASEAN, son attitude vis-à-vis de la Chine a été plus mesurée qu’à l’habitude. Ceci n’est pas un hasard : le premier ministre chinois y conduisait une véritable offensive de charme insistant sur la longue histoire d’amitié liant la Chine et l’Asie du Sud-Est afin d’y étoffer sa politique d’influence.

           Face à la montée en puissance chinoise, le Japon accélère son intégration industrielle à la matrice américaine. L’industriel japonais Honda vient de se rapprocher de Ford et de General Motors afin d’adopter la nouvelle technologie de chargement de batterie mise au point par Tesla. Celle-ci sera opérationnelle en 2025. Américains et Japonais suivent avec attention le lancement par laCorée du Nord d’un nouveau sous-marin nucléaire d’attaque : le 841. D’après les analystes américains, sa technologie modifierait celle d’un sous-marin soviétique des années 1970, ce qui fait de ce lancement davantage une opération de communication qu’un changement de paradigme militaire. Le Japon suit en outre avec attention le rapprochement entre la Corée du Nord et la Russie. La première peut permettre à son alliée de se servir dans son fabuleux stock de munitions afin de poursuivre les opérations d’Ukraine. En échange, la Corée a besoin d’énergie mais aussi d’une aide technologique pour ses armes de haute précision. C’est ce qui inquiète le Japon.

           Dans ce contexte, la Chine est loin de rester inerte : elle vient d’interdire l’usage des i-phones aux officiels chinois afin de promouvoir la fabrication de ses propres semi-conducteurs au détriment de Taïwan. S’appuyant sur un discours rôdé touchant à la préservation de l’environnement marin, la Chine a sanctionné le rejet en mer par le Japon des eaux traités de la centrale de de Fukushima par une interdiction d'importation des produits de la mer japonais. Voici un défi économique lancé aux populations jadis ichtyophages de l’archipel. Le lobby de la pêche japonaise qui craignait que ce rejet ne portât préjudice à ses exportations s’y était opposé mais en vain. Il n’aura servi à rien au premier ministre japonais Kishida d’approcher son alter ego chinois Li Qiang afin d’expliquer la raison pour laquelle il avait donné son accord à cette action. La réponse de Li fut a priori suffisamment ferme pour que Kishida ne souhaite la commenter. La Chine a engagé le Japon à se conduire de façon plus responsable. Pendant ce temps, l’Ambassadeur des Etats-Unis à Tokyo servait à ses hôtes, en guise de défi, des fruits et légumes de Fukushima, agrémentés de poissons pêchés au large de la centrale. Quant à la Russie, elle a profité de l’embargo sur les produits de la mer japonais pour exporter ses propres poissons et crustacés vers la Chine. Les questions environnementales étant devenues un enjeu central de communication politique, le Japon a distillé quelques informations sur son altesse impériale le Prince Hisahito, second dans la succession. Non content de s’intéresse avec passion aux libellules, ce dernier fait pousser des plants de riz sans gluten. Le voici donc couronné pour l’heure Prince des libellules à défaut de régner encore sur des eaux salines aseptisées. Malgré les tensions géo-économiques latentes, les ministres de la culture de la Corée du Sud, du Japon et de la Chine ont décidé de renforcer les échanges entre les jeunesses de ces pays. Après tout, sommes-nous sûrs que ces pays ne s’allieront pas un jour à la faveur d’un renversement d’alliance ?

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