Aout 2024, les neutres poursuivent discrètement leur essor en Asie

ecrit Par

Thomas Flichy de la Neuville

Professeur de géopolitique, Habilité à diriger des recherches

Les articles du même auteur

August 29, 2024

Au cours du mois d’août 2024, les lignes de force géopolitiques ont quelque peu évolué en Asie, au profit du neutralisme qui se présente comme une réponse durable à la confrontation binaire entre Occidentaux et Orientaux. Examinons ici les avancées successives des trois camps.

Les puissances occidentales

       Les puissances occidentales, dont les avancées sont notées en bleu sur la carte, ont poursuivi leur aide envers quelques îlots centraux qu’ils souhaitent soustraire à l’influence de la Chine. C’est le cas de la Mongolie, mais également de l’Afghanistan, où le régime des Talibans survit grâce à une perfusion financière américaine. Depuis 2021, 21 milliards de dollars ont été consacrés à l’aide humanitaire envers ce régime par l’intermédiaire des Nations Unies. Par un curieux retournement, les États-Unis soutiennent en 2024 leur ennemi de 2021.

La sous-région reste loin d’être stable : au Pakistan, des attaques massives ont fait des dizaines de morts au Baloutchistan. Toutefois, l’influence occidentale s’est surtout fait sentir dans les périphéries maritimes du continent asiatique. Au Bangladesh, Muhammad Yunus, éduqué aux États-Unis, a pris les rênes du pays. Le Cambodge, méfiant vis-à-vis du projet chinois de canal de navigation visant à réduire sa dépendance au Vietnam, a accueilli favorablement la demande de l’Ukraine pour former ses sapeurs au déminage. Pour contrer l’influence de la Chine au Vietnam, l’Australie vient de signer un partenariat stratégique avec ce pays. En Thaïlande, la dissolution par la cour constitutionnelle du parti progressiste Move Forward n’a pas empêché ce dernier de se recomposer sous le nom de Parti du Peuple tout en accentuant sa pression sur le gouvernement.

De son côté, Taïwan poursuit son développement technologique dans la production polluante de semi-conducteurs, montrant ainsi l’inanité du techno-écologisme. Au Moyen-Orient, Israël tente de compenser le dommage causé par le conflit à Gaza par une accélération de la colonisation de la Cisjordanie. Non seulement l’État hébreu n’a essuyé qu’une modeste riposte de l’Iran, mais il est également intervenu militairement en Syrie pour éliminer des membres du Jihad islamique palestinien. Malgré les difficultés des États-Unis à se maintenir dans la péninsule arabique, leurs intérêts ont été préservés à Bahreïn, où Weatherford International vient d’obtenir un contrat de cinq ans pour fournir des services de forage dans le champ d’Awali.

Les puissances orientales

       Toutefois, ces mouvements ont été en partie contrés par les Orientaux, dont les avancées sont notées en rouge sur la carte. La Chine connaît actuellement un fort ralentissement économique, mais ses exportations continuent de menacer l’industrie allemande, fragilisée par la perte du gaz russe bon marché. La Chine s’intéresse actuellement à l’acquisition discrète de plusieurs territoires. Après s’être emparée des Maldives au détriment de l’Inde, elle se tourne vers le Laos, financièrement exsangue, qu’elle pourrait renflouer en échange d’avantages stratégiques, ainsi que vers le Népal grâce à une politique d’influence culturelle réfléchie.

La Birmanie s’est rapprochée de la Russie et de la Chine. Il est intéressant de noter que les sanctions contre les hautes personnalités birmanes sont systématiquement initiées par les États-Unis, puis imitées par leurs alliés anglo-saxons, et enfin par l’Union européenne. Le ralentissement économique chinois n’est pas sans aiguiser certaines tensions militaires, notamment aux Philippines, qui ont accusé la Chine, le 24 août, d’avoir tiré des leurres sur leurs avions, et en Malaisie, où un patrouilleur lance-missiles a coulé le 25 août en mer de Chine méridionale après une fuite fatale. La marine malaisienne a rapporté qu’un choc avec un objet sous-marin aurait provoqué une fuite dans la salle des machines. Les tensions navales sont également présentes au Japon : le 26 août, il a été confirmé qu’un avion chinois de type Y-9 avait violé l’espace aérien japonais au large des îles Danjo, dans la préfecture de Nagasaki.

En Asie centrale, la Russie a enregistré plusieurs succès en août. La Géorgie s’est nettement rapprochée de Moscou, ce qui a entraîné le gel de l’aide européenne et l’annulation d’exercices militaires par Washington. Le Kirghizistan, autrefois considéré comme un îlot pro-occidental, s’est détourné des États-Unis, tandis que le Tadjikistan a renforcé son partenariat avec la Chine et la Russie. L’Azerbaïdjan, quant à lui, s’est rapproché des Émirats arabes unis, alliés de Moscou, et de la Biélorussie, sous l’égide du président Loukachenko. Au Moyen-Orient, autrefois dominé par les Occidentaux, les Orientaux lorgnent vers les périphéries maritimes, notamment le Yémen et la Palestine, qui a récemment annoncé vouloir rejoindre les BRICS.

Les puissances neutres

       La scène géopolitique asiatique ne se limite pas à une opposition binaire. Elle inclut également les puissances neutres, qui concentrent actuellement des avantages commerciaux majeurs grâce à leur diplomatie vivante et leur capacité à dialoguer avec tous. Les avancées des neutres sont notées en vert sur la carte.

La principale puissance neutre demeure l’Inde, qui pratique actuellement un multi-alignement efficace, en fonction de ses intérêts. Son lien privilégié avec la Russie ne l’a pas empêchée de faire récemment une visite en Ukraine. De même, la Mongolie tente d’équilibrer ses relations entre la Russie et la Chine grâce à sa politique du "troisième voisin" américain. Singapour, cité-État contrôlant un détroit stratégique, a également opté pour le multi-alignement, préservant ainsi ses propres intérêts. C’est ici que Chinois et Américains maintiennent leur dialogue militaire malgré le contexte tendu.

L’Indonésie, autre puissance neutre, attire actuellement les investisseurs dans le secteur de la construction. Au Kazakhstan, courtisé par les puissances nucléaires du monde entier pour son uranium, le gouvernement a annoncé qu’il n’atteindrait pas ses objectifs de production pour 2025. En réduisant sa production de 30 000 à 25 000 tonnes, il se positionne en maître face à des puissances géopolitiques concurrentes qui cherchent à monopoliser sa production.

Au Moyen-Orient, le neutralisme se développe également. La Turquie, autre puissance neutre et opportuniste, vient de signer un accord avec l’Irak pour négocier l’ouverture du Tigre et de l’Euphrate, ainsi que celle des investissements, en échange d’un soutien dans la lutte contre le PKK. Le Qatar, qui aspire depuis des années à devenir une puissance diplomatique indépendante, abrite actuellement des discussions sur un éventuel cessez-le-feu à Gaza en échange de la libération d’otages. Il vient également de signer un nouvel accord d’approvisionnement en GNL avec le Koweït.

Plus à l’ouest, le Liban tente de préserver sa neutralité face à un possible embrasement du Levant. Ainsi, alors que les tensions entre Occidentaux et Orientaux sont surmédiatisées en Asie, la progression de la diplomatie multilatérale des neutres reste inaperçue. Certains entrepreneurs l’ont bien compris et choisissent d’investir en priorité dans ces espaces pacifiés et riches en opportunités.

Thomas Flichy de La Neuville

Prochaine lecture